LIBÉRATION, 16 janvier 2006
Par Ludovic PERRIN

ENTRE CHANTAL GOYA ET LA DÂME AUX CAMÉLIAS

Echos du show fourre-tout à Bercy.
Il y a une bonne idée dans le nouveau spectacle de Mylène Farmer. Un rideau de pluie d'où tombent des lettres et la silhouette d'une femme, tandis que la chanteuse monte l'escalier de son temple de Vestale. Ça arrive aux rappels. Et il faudrait tout reprendre de là, mettre la technologie au service des idées et non l'inverse, dans cette scénographie tâchant de trouver un sens et de l'émotion dans une succession de tableaux totalement disparates et sans cohésion. Un fourre-tout où des geishas côtoient des danseurs flamencos, où des choristes habillées en nonnes accompagnent une sorte de magicien pianiste qui se croit dans un opéra de Wagner. En fait, c'est le géant gentil d'Harry Potter dirigeant, en symphonie digitale, ses musiciens "gothiques", guitaristes, bassistes, claviéristes, percussionnistes et batteurs (Abraham Laboriel Jr., piqué à Paul McCartney).

Transportée par des soldats tout droit sortis d'une planche de Bilal, la chanteuse, elle, sort d'un caisson à oxygène tombé du ciel de Bercy (un plafond noir plein de rails, de câbles, de projecteurs). Ils traversent une immense croix placée dans la fosse pour rejoindre une impressionnante Cité interdite s'ouvrant pour Mylène. Bonne utilisation des dimensions 3D de la salle. On s'attend à la "femme-piège", et c'est Chantal Goya qui sourit, toute béate. On augure une meneuse de revue, et c'est une Madonna du samedi soir en boîte. Coiffée manga, façon poupée en cuissardes qui ne ferait plus vraiment non.

Deux heures durant, on lui changera ses nuisettes. La musique est un peu pareille, suivant des modulations aussi prévisibles que ses rimes en fin de couplets. Elle en met des couches. Puis Mylène Farmer se plante sur sa croix pour une série acoustique, genre piano-bar. La Dame aux camélias rame dans les aigus, crache même ses poumons, mais au moins c'est un concert. La machine se repose. Il y a contact avec le public.

Une fan sera même invitée sur scène. Elle est tétanisée, cela va sans dire. Elle est là pour les tubes. Il y a déjà eu 'XXL', maintenant 'Désenchantée'. Hystérie, la salle est débout. Dans ce jeu de marelle joyeusement régressif, en troupe tutu et haut-de-forme, 'Sans contrefaçon' masque l'absence (inexpliquée) de 'Libertine' et 'Maman a tort'. A ces incunables, le programme préfère 'Fuck Them All', simple pétard mouillé du dernier CD. Applaudissements polis d'un public pourtant acquis.

Le compositeur Laurent Boutonnat, entouré d'une armée d'ingénieurs du son et d'informaticiens avec ordinateurs portables, fait soudain des gestes sur une partition imaginaire. Dansotte, prend des notes, rallume sa pipe, descend une énième bouteille d'eau. Puis, derrière sa console, redevient aussi imperturbable qu'un opérateur de Kraftwerk. Le Pygmalion observe sa créature. Arrivé à ce point du concert, on n'a toujours pas saisi le phénomène. Ou plutôt, si. Mylène Farmer n'existe pas.


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