FRANCE SOIR, 16 janvier 2006
Par Richard GIANORIO

MYLÈNE FARMER, LA FOLIE DES GRANDEURS

La chanteuse mène paresseusement la revue dans un univers désormais banalisé.

Avant d’apparaître sur scène, Mylène Farmer, dont c’est l’événementiel retour, impose à un public chauffé à blanc un court-métrage japonisant interminable, une évocation magnifiquement rasoir d’Hiroshima. Toquée d’art moderne et d’esthétisme, elle offre ce manifeste poétique radical à des fans qui ne comprennent pas, s’impatientent, finissent par siffler et faire la ola comme à un match de foot.

Le calvaire nippon s’achève et une capsule descendue des limbes se pose précautionneusement sur le sol. C’est 'Blanche-Neige' et 'Metropolis'. Des costauds en kimono s’emparent du sarcophage et le transportent de la gigantesque scène centrale en forme de croix de Malte à une autre, principale, imposant fronton d’un temple dont on ne saurait dire s’il est asiatique, babylonien ou tout simplement hollywoodien. De cet écrin phosphorescent apparaît l’idole, costume or bardé de pierreries et coiffure en pétard à la Mathieu Chédid version M.

Les fans, au bord de la jouissance après ce rituel païen, sont prêts à célébrer le culte et à tout endurer. Et tout particulièrement le manque d’abattage de Mylène Farmer. Alors qu’elle nous avait séduits les fois précédentes, lors du 'Mylenium Tour' par exemple, elle manque ici de singularité et d’énergie. Dans ce décor pharaonique aux lumières somptueuses, on est en droit d’attendre un show gonflé à bloc à la Madonna. Or c’est une Farmer paresseuse qui mène la revue dans un univers passablement banalisé de variété tout venant. La provocation, le mystère et la sensualité sont les grands absents du spectacle.

Les tableaux se succèdent sans aucune homogénéité : depuis que Mylène Farmer s’est départie de son univers gothique, il n’y a plus de fil conducteur, comme si la folie des grandeurs et le confort du "tout acquis" avaient tué toute création. On assiste placidement à une froide superproduction à effets spéciaux qu’on aurait oublié de scénariser.

Entre deux tableaux, des danseurs flamencos tapent des pieds. Puis Mylène Farmer surgit de nouveau dans un costume de music-hall avec chapeau haut de forme et justaucorps emplumé. La tête ailleurs, elle dans sur 'Sans contrefaçon' (la chorégraphie d’origine, ni plus, ni moins) avant d’enfiler une robe violette et de passer au nerf de la guerre : une série de chansons vaguement "unplugged".

Perdue au milieu de sa croix de Malte, Farmer n’a pas peur de chanter seulement accompagnée au piano par Yvan Cassar, son chef d’orchestre. Des larmes roulent sur ses joues de poupée de porcelaine impavide. Les spectateurs, eux, frisent l’apoplexie. Mylène Farmer qui pleure et qui rit fait alors monter sur scène une jeune fan tremblante et pleurnicheuse dont elle caresse affectueusement le bout du nez. On croirait une scène du film 'Backstage'. Alors qu’elle est déjà en lingerie noire, la chanteuse attaque un 'Déshabillez-moi' hystérique, enchaîne avec 'Fuck them all' et prépare déjà un grand final qui, il faut l’admettre, ne manque ni de classe ni de mystère. Tout ce qu’on attend d’elle et qui ne surgit qu’in extremis.

Sur 'Avant que l’ombre…', un impressionnant rideau de pluie dessine sa silhouette. Farmer montre lentement les marches d’un grand escalier, laisse royalement tomber son manteau rouge. Au sommet du piédestal, sa silhouette dévêtue de déesse inaccessible se dessine sur les fumigènes. C’est l’image qu’on veut garder d’elle. Les fans sanglotent. « Fuck them all »…


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